Ni école, ni subvention

« je ne suis pas seulement une femme de ménage, je suis une couturière »

 

Laissez-moi vous présenter Nouria (*): 1,55m ; 47 ans.

Pour préserver la confidentialité nécessaire, le prénom a été modifié.

Une énergie naturelle dans la voix et le geste, un parler clair et précis, sa robe est impeccable comme ses ongles. Sa Taille 38 lui permet « d’acheter moins de tissu pour s’habiller » nous dit-elle en souriant. C’était il y a quelques années. Elle recherchait «une formation Couture pour ne plus être seulement une femme de ménage chez les autres mais une couturière ». Elle est arrivée à notre adresse sans rendez-vous, la discussion s’est engagée de suite.

Quelques mois plus tard, elle offrait à ses collègues de formation un exemple quotidien de vitalité et de persévérance dont beaucoup avaient besoin.

Comment ne pas oublier Nouria ? en lui dédiant ces lignes, en vous offrant à vous aussi un moment avec elle :

Lors de notre première entrevue, elle nous conte son parcours de vie et de travail : « comme vous voyez c’était pas toujours facile - mais je m’en sors ». D’autres auraient craqué en vivant ce qu’elle a enduré ! Algérienne d’origine, elle a trouvé dans  ses deux cultures « de quoi guider sa vie dans toutes les circonstances. Aucune aigreur pendant son récit, aucun regret; une sincère acceptation du passé, ses préoccupations sont tournées vers le futur.

« Manifestement vous savez coudre vos robes ! Que venez-vous chercher dans nos formations ? »

- "Mon deuxième métier", nous avait-elle répondu répondu ; Si j’obtiens un bon niveau en couture, je ne ferai plus seulement que du ménage chez les autres, je ferai aussi des robes pour mes clientes ; mais je dois les faire très bien, et comme je sais pas tout faire …je compte sur vous « .

Et elle continue : « Je fais le ménage chez des personnes « haut placées», qui me laissent ranger leur pagaille sans aucun merci en fin de semaine, mais c’est pas grave, je leur fais un travail impeccable quand même ».

A la fin de l’entretien, elle nous avoue « je ne sais pratiquement pas écrire, il faudra m’aider en rédigeant quelques notes à ma place » . « si vous l’acceptez, alors je peux suivre vos cours ».

Nous lui demandons à quel organisme elle s’adressera pour faire financer sa formation –A savoir que 90% de nos stagiaires sont subventionnées -. Elle nous confia qu’elle n’avait droit à rien puisqu’elle travaillait et qu’elle était trop âgée pour bénéficier des aides pour les jeunes – clin d’œil suivi d’un éclat de rire - .

Et elle enchaîna : « j’ai économisé pendant plusieurs années, et je serai contente de financer mes cours  moi-même ».

Nouria a suivi 6 mois de cours, a recomposé ses horaires de travail pour se rendre disponible ; elle a « révisé » ses cours le dimanche soir en coupant une deuxième robe ou veste, pour nous l’apporter le mardi matin.

Dans son groupe les contextes sociaux étaient fort différents : riches, pas riches ; malades ou pas malades, cultivées ou basiques . Ce que  Nouria a vécu pendant sa formation l’a beaucoup marqué : le groupe était solidaire, amical, motivé, enjoué. Ce fut pour nous l’un des meilleurs groupes depuis quelques années. Ces femmes échangeaient, s’encourageaient, s’acceptaient ; un seul sujet comptait : la couture, toujours plus de performance, et toujours plus de plaisir à constater les progrès effectués par les autres. Personne ne se retrouvait après la journée de cours, mais le groupe ne se quittait pas à la pause café ou à l’heure du repas.

Les différences de culture et de niveau de vie n’étaient pas un élément de séparation entre elles, un sujet commun les réunissait et les soudait : faire de la couture un métier , bientôt, et mettre en place les moyens de prouver leurs compétences, à savoir une collection ou des prototypes « presque parfaits » pour retrouver l’expression chère à Nouria.

Nouria a trouvé progressivement sa place dans cet univers nouveau , nous dit-elle lors d’un échange téléphonique récent . Elle n’est « plus une simple femme de ménage, elle est une couturière - dans sa tête et devant ses clientes « . Un voisin tient un atelier de retouches, et lui a fait des éloges sur les robes qu’elle porte...

Nouria  pourrait être choisie pour « faire marcher son prochain atelier de retouches».

En attendant, elle complète sa garde-robe pour donner forme concrète à sa carte de visite, convaincre définitivement ce futur partenaire, comme ses » clientes du ménage »

Elle n’a pas pu abandonner toutes ses heures de ménage mais « maintenant c’est plus pareil ».